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Interview : Amina Agueznay par Saveria Mendella et Khémaïs Ben Lakhdar

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Cet été, le Fonds de Dotation Maison Mode Méditerranée vous livre trois regards par trois artistes franco-marocains : Amina Agueznay, Hicham Lalhou et Louis Bartélémy.

 

Nous souhaitions échanger sur leur vision contemporaine, située mais internationale, de la création et du design. Ces conversations ont été réalisées par Khémaïs Ben Lakhdar, doctorant en histoire de l’art et de la mode et titulaire de la Bourse Recherche du Fonds de dotation MMM, et Saveria Mendella, doctorante en anthropo-linguistique de la mode et en contrat CIFRE avec le Fonds de dotation MMM. Le premier volet est consacré à l’artiste et architecte marocaine Amina Agueznay, lauréate OpenMyMed Prize 2010. Ambassadrice émérite, Amina Agueznay milite avec ses collaborateurs pour la préservation des valeurs de Craft et Give-Back qu’elle partage avec le Fonds de Dotation Maison Mode Méditerranée.

 

Amina Agueznay est une artiste marocaine née à Casablanca issue d’une famille d’artiste. Sa mère, Malika Agueznay, développa l’abstraction et prit part à la définition des codes de l’école de Casablanca. Diplômée d’un Bachelor of Architecture de l’Université Catholique de Washington DC, Amina vit à aujourd’hui à Marrakech. Après sa formation et pendant ses premiers travaux d’architecte aux Etats-Unis, elle suit une formation en joaillerie. Dix ans plus tard, à son retour au Maroc, elle met à profit son acquis américain et collabore avec des agences gouvernementales marocaines pour identifier et développer les savoir-faire locaux. En 1999, l’artiste plasticienne réalise sa première exposition à l’Institut du Monde Arabe.
En 2010, elle devient lauréate du premier concours Open My Med Prize, une expérience qui la conforte dans ses choix et sa vision artistique.
Dans les collections du musée de Marseille figure le collier-sculpture réalisé par l’artiste et exposé en 2013 dans le cadre de Marseille Capitale Européenne de la Culture.

 

Toujours très proche de ses talents rencontrés au fil des générations, le Fonds de Dotation Maison Mode Méditerranée a organisé en Juin 2021 une rencontre virtuelle pour échanger avec l’artiste autour de son engagement artisanal, sa vision internationale, et son implication artistique. Saveria Mendella et Khémaïs Ben Lakhdar ont eu le plaisir de revenir en compagnie de Amina Agueznay sur ses oeuvres et son parcours pluri-disciplinaire durant un entretien fleuve dévoilé ici en exclusivité. Amina Agueznay nous livre son regard de femme engagée, sa vision internationale et son implication artistique.

 

Exposition Artistes Marocaines de la Modernité 1960 – 2016, Musée Mohamed VI d’Art Modern et Contemporain, Rabat – 2016, Curator: Rim Laabi – Courtesy Cultures Interface Photo Khalil Nemmaoui


Vie et engagement artisanal

 

Saveria : Pour commencer, nous avions envie de vous poser quelques questions autour de l’artisanat et de vos engagements créatifs. Dès votre retour au Maroc, vous collaborez avec des agences gouvernementales marocaines pour aider les artisans locaux à se développer. Vous travaillez désormais avec des artisanes pour réaliser vos œuvres. Comment vous situez-vous entre transmission et collaboration ?

Amina Agueznay : La relation avec l’artisan, ou l’artisane, est très importante pour moi. La relation n’est en rien verticale, on pratique un véritable échange entre savoir-faire et innovation. Dès ma première collection de bijoux, j’ai collaboré avec un artisan. Le Ministère de l’artisanat m’a sollicité ainsi que d’autres designers pour accompagner des artisans spécialistes de certains savoir-faire afin d’innover le produit artisanal dans le but d’une commercialisation. Durant ce programme, j’ai eu une prise de conscience qui a modifié ma routine en atelier. Je me suis rendue compte à quel point j’avais besoin de sortir, d’être sur le terrain. J’ai eu une excellente idée [rires] tant le Maroc est riche en savoir-faire. Je travaille actuellement sur la transmission en incitant les artisans à reconnaître les motifs qu’ils tissent depuis des années mais aussi en insérant des nouveaux motifs. Le geste répétitif de tissage entraîne parfois une perte de connaissance des symboles, le geste est transmis, mais pas sa signification.

 

Khémaïs : C’est passionnant. Vous dites que, finalement, tout en intégrant de la modernité on peut prolonger les traditions ancestrales ?

Amina Agueznay : Oui. Cependant, il y a aussi une réalité à affronter : qui va acheter le produit innovant ? L’innovation est une réelle crainte pour les artisanes. Les intermédiaires [des ventes de tapis] sont alors très importants car ils informent sur ce qui se fait, ce qui se vend, et elles se reposent sur leurs demandes plutôt que leurs envies créatives.

 

Saveria : La sororité fait partie intégrante de votre processus de création. Au-delà d’une filiation matrilinéaire d’artistes dans votre famille, pourquoi la place des femmes est-elle devenue centrale pour vous ?

Amina Agueznay : C’est vrai, ma mère est l’une des premières femmes artistes du Maroc. Je ne collabore pas qu’avec des femmes, cela dépend des savoir-faire. Lorsque je crée, je suis un processus précis qui me vient de mes études d’architecture mais je commence toujours par la matière. Au début, je me présentais en disant “je crée de la matière”. Et il se trouve que dans le monde du textile, au Maroc, ce sont souvent des femmes artisanes qui travaillent, exceptées dans une région située dans le Moyen Atlas. Mais je suis une femme de terrain, c’est sur le terrain que j’ai appris la sorority. Par exemple, lorsque j’anime des ateliers j’en profite pour repérer les gens avec qui j’ai envie de travailler. Durant ces ateliers, il y a toujours des femmes qui me donnent des coups de main dans mes créations, elles sont devenues des sœurs, nous formons une grande famille. Donc après les cours de l’atelier, j’effectue mes visites de terrains avec certaines puisqu’elles m’aident à effectuer des repérages. C’est par cet entre-aide qu’ensuite nous travaillons ensemble. Je ne sais pas si c’est cela le concept de sororité mais nous formons clairement une famille qui s’élargit constamment. Et je n’hésite pas à créer un réseau de travail entre les artisanes et artisans.

 

Khémaïs : Y-a-t-il alors une valeur politique à ces mises en relations ?

Amina Agueznay : Non, je ne pense pas à ce genre de chose. Puis qu’est-ce que cela signifie ? Oui peut-être que fédérer des gens est une forme de politique. Mais je suis intéressée par le fait de faire connaître. D’ailleurs, je travaille sur un projet baptisé “Putting them on the map” pour faire apparaître ces femmes et hommes aux savoir-faire extraordinaires.

 

Saveria : En développant les savoir-faire ancestraux des tisseuses marocaines, souhaitez-vous aussi être porte-parole de votre pays sur la scène internationale ?

Amina Agueznay : Non, mon but n’est pas d’être porte-parole. Je mise tout sur le travail effectué, qui doit parler de lui-même. Ce que j’ai fait n’était pas calculé, notamment mon approche collaborative qui est le fruit de mes expériences de terrain. Bien sûr, je mentionne toujours les noms des personnes avec qui j’ai collaboré. Le fait de porter une parole n’est pas volontaire mais plutôt motivé par l’envie de les faire connaître, sans intellectualiser. A la limite, je préfère le terme de “passeuse” qui est moins prétentieux et rappelle que je ne suis qu’un maillon de la chaîne, comme nous tous. Et il faut inclure une notion de respect qui est fondamentale.

Sans lien avec les femmes artisanes et un grand respect de la vie de chacune, ma dernière œuvre, par exemple, n’aurait jamais vu le jour tant elle nécessitait de traverser tout le Maroc en pleine pandémie de Covid pour sa réalisation ! Je ne sais plus ce qui est le plus important de l’œuvre ou de l’histoire qui a permis sa réalisation. Le miracle de l’énergie qui se cache derrière une œuvre est, je crois, ce que les gens ressentent.

 

Khémaïs : Les traditions séculaires marocaines se retrouvent en filigrane dans votre œuvre (notamment dans “ACT 1 Incarner le visible”, Biennale de Rabat 2019), le tapis et son tissage y tiennent une place de choix. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre rapport à ces traditions?

Amina Agueznay : Oui, il y a une grande importance du processus dans la tradition de confection marocaine. Et, selon moi, on ne peut pas dissocier un produit d’un processus. C’est dans cette jonction, derrière le métier à tisser, que se situe la magie, tout un monde auquel j’ai besoin de contribuer en m’asseyant avec la mâallem [maître artisane] et de sentir cette répétition du geste, à force de tisser, qui devient rituel. Une sorte de transe permise par le geste ancestral de tissage.

Mais je  voulais surtout sortir de cette idée du contrôle de la matière. Je cherchais l’aléatoire dans le bijoux et dans la création plus largement.

L’objectif final de ce processus était de questionner comment le geste créatif, celui de l’artiste, est dévoilé au monde au point d’effacer l’artiste. Il faut vraiment voir le positionnement des mains des tisseuses par rapport à leur corps, c’est très beau. Il y a même certaines régions du Maroc où elles tissent à l’envers, sans voir leur tissage [début du moyen Atlas].

Pour en revenir à Act 1, je voulais montrer le processus en partant de mes artefacts, dans ce cas le bijoux, jusqu’à l’objet final. Un parcours comme une carte de mon petit monde où je m’enfouis. Cette notion d’enfouissement est très importante pour moi. Une merveilleuse écrivaine [Ghita Triki] a traduit en mots cette installation. J’ai  envie de vous lire son texte.

Exposition Un Instant Avant le Monde – Biennal de Rabat, Musée Mohamed VI d’Art Modern et Contemporain, Rabat – 2019, Curator: Abdelkader Damani – Crédit Photo : Amina Agueznay Guy Thimel

 

Crédit : Portefolio Amina Agueznay


Oeuvres et rapport aux textiles et matières

 

Saveria : Vous évoquiez le fait de “tisser des liens” avec les artisans et artisanes. Tisser des liens entre humains, c’est un processus qui comprend des imprévus, notamment celui de ne pas savoir quelle forme de relation va en émerger. Ainsi, acceptez-vous l’imprévu, qui peut se répercuter jusque dans l’œuvre finale ?

Amina Agueznay : C’est une question intéressante car, en tant qu’architecte, pour moi, il n’y a jamais d’imprévu. La démarche de travail que ce métier implique ne me fait pas croire en l’accident heureux. Pourtant, ces temps-ci, je me demande si le refus de penser l’imprévu ne viendrait pas d’une volonté de contrôle total. Mes projets sont des chorégraphies orchestrées avec mes équipes mais, oui, à un moment il faut lâcher prise. C’est dans l’acceptation des connaissances propres aux artisanes et aux initiatives qu’elles prennent individuellement en tant que spécialistes que surviennent les imprévus joyeux qui sont maîtrisés et enrichissent l’œuvre et son histoire. Cependant, il y aussi certains artisans qui refusent d’être force de proposition et donc créateurs, il faut respecter leur souhait d’être exécutants.

 

Khémaïs : Le fil revient souvent dans votre discours. Parlez-nous de ces matières textiles que vous transformez en paysages, on passe du corps à l’espace pour soudainement se remémorer la connexion entre les deux. Pouvez-vous nous dire pourquoi le fil, le textile est un médium privilégié dans votre travail créatif ?

Amina Agueznay : Oui, pourquoi ?! C’est très intéressant. Vous avez raison, l’idée de structure est permanente. Justement, il faut remonter le fil de mon histoire. J’ai accompagné des maroquiniers, des tisserands, tout en travaillant dans l’architecture. Le fil est à la fois un module et une linéarité. La ligne est nécessaire à la construction, elle est très importante pour moi surtout quand elle me donne l’opportunité de changer de propriété lorsqu’on peut la multiplier. En multipliant les fils et leurs lignes, on crée une structure qui peut devenir une deuxième peau comme avec les vêtements, ou des monuments plus grands comme avec mes œuvres. Commencer avec le fil à avoir avec ma formation.

 

Khémaïs : Les dialectiques “vêtement / revêtement” ou “décor / structure” sont très présentes dans votre œuvre. C’est l’idée du textile qui devient architecture.

Amina Agueznay : Effectivement, parce que les volumes des vêtements et bijoux m’inspirent mais ce sont des volumes qui m’intriguent moins. Les échelles extrêmes m’intéressent, ainsi que les parures que l’on peut retirer, mais pas l’échelle corporelle. J’aime les structures amovibles et en même temps architecturales.

 

Khémaïs : Justement, vous êtes une parurière hors-pair. N’avez-vous jamais pensé à la création d’une collection de mode ?

Amina Agueznay : J’ai été en contact avec des vêtements durant des expositions. En 2008, lors de l’événement Caftan, j’ai réalisé un bijoux et ai collaboré avec Noureddine Amir. Je me suis inspirée des bijoux à échelle humaine, portables, pour créer des bijoux de plus grande échelle qui permettaient de parer les murs. Mais on ne s’improvise pas spécialiste dans tous les domaines. D’une certaine manière, je suis dans l’accessoire, mais pas dans le vêtement même si je reconnais qu’il est un abri, comme les créations d’architecture. Lorsque je réalisais des bijoux, j’avais besoin d’être en contrôle de la matière, de travailler avec mes mains. Je créais une matière que l’artisan assemblait mais, en évoluant dans mon travail, je me suis éloignée du travail manuel. Sauf depuis le confinement, j’ai recommencé à travailler avec mes mains notamment avec le papier qui est une matière éphémère. Ca me rappelle les maquettes, périssables par fonction.

 

Crédit : Portefolio Amina Agueznay – Photo : Leila Alaoui

 


Amina Agueznay & Le Fonds de Dotation Maison Mode Méditerranée

 

Khémaïs : En 2010, année où vous remportez l’Open My Med Prize, vous réalisez un collier pièce unique que vous offrez à la Maison Mode Méditerranée. En 2013, il est exposé à Marseille dans le cadre de son année de capitale européenne de la culture. Le collier a été photographié et mis en scène dans des vidéos par Mark Blezinger. Quel est aujourd’hui votre regard sur cette œuvre unique ?

Amina Agueznay : C’était une rencontre que j’avais envie d’honorer. L’œuvre n’a pas toujours été comprise, mais j’ai adoré créer cette pièce immense par opposition aux dimensions classiquement établies pour les colliers. Tout le corps, et non plus seulement la tête, devait alors se mettre à le soutenir, c’est ce que l’on peut observer sur les images.

 

Saveria : Pour finir, qu’est ce que cette rencontre il y a presque vingt ans avec la Maison Mode Méditerranée vous a apporté ?

Amina Agueznay : Maryline [Bellieud-Vigouroux] ! Quelle femme merveilleuse. Dès notre rencontre, et malgré mon peu d’attrait pour la création de vêtements, elle m’a fait confiance et m’a soutenu. Même à distance, la relation perdure.

La formation durant l’Open My Med Prize à Marseille a été très instructive, je me sers encore de ce que nous avons appris, notamment dans des domaines qui m’échappaient jusque-là comme le marketing et la comptabilité. Les lauréats de cette promotion sont merveilleux, je suis restée amie avec nombre d’entre eux! J’avais aussi rencontré des experts qui travaillent dans des groupes de luxe qui ont été adorables. Depuis cette expérience, j’ai vraiment l’impression que nous formons une grande famille accueillante et bienveillante. Il y a une réalité à ne pas oublier : c’est qu’il est difficile pour des artistes et créateurs arabes de se faire une place en France. Maryline a permis ce pont entre la Méditerranée et la France. Je n’oublierai jamais Olivier Saillard [actuel administrateur du Fonds de Dotation MMM] qui nous a incité durant le programme à trouver une nouvelle manière d’exposer notre travail qui traduise la fierté de nos origines. Les choses intéressantes ne se passent plus en Europe, il faut aller voir ailleurs, là où Maryline nous a donné une voix pour nous exprimer !

 

 

Crédit Photo : Olivier Amsellem

 

Amina Agueznay expose actuellement au Palais de la Porte Dorée à Paris une œuvre co-réalisée avec des artisanes au sein de l’exposition “Ce qui s’oublie, ce qui reste” (*). L’œuvre rassemble les symboles historiques, connus ou méconnus par les femmes artisanes en questionnant l’idée de transmission et de répétition avec l’éventualité d’une perte de sens causé par les répétitions kinésiques. Nous remercions chaleureusement l’artiste pour cet échange riche et passionnant.

 

 

* Exposition “Ce qui s’oublie, ce qui reste.” du 19 Mai au 29 août 2021. Musée National de l’Histoire de l’Immigration.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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