12/05/2023 Interview de Sophie Theallet : D’Azzedine Alaïa à New York
Sophie Theallet, créatrice de mode de renommée internationale, rejoint les Ami.e.s du Fonds de Dotation MMM dont elle partage la philosophie. À cette occasion, le Fonds de Dotation revient avec elle sur son parcours.

Sophie Theallet & Azzedine Alaïa
Portrait
À dix-huit ans, Sophie Theallet est admise au studio Berçot sur concours. Au cours de sa seconde année à Berçot, elle remporte le “ Prix national des jeunes créateurs ” et obtient son diplôme. Immédiatement engagée chez Jean Paul Gaultier comme assistante, elle y restera 3 ans. Ensuite, elle travaillera comme ”bras droit” d’Azzedine Alaïa, grand couturier franco-tunisien et premier Président de la Maison Mode Méditerranée. Avec lui, elle développera les collections, restant à ses côtés pendant près de dix ans. Puis, elle s’installera à New-York, travaillant au début comme “free lance” designer et consultante. La créatrice finira par lancer sa propre marque éponyme “Sophie Theallet” en 2007. En 2009, son talent sera unanimement reconnu par l’industrie de la mode Américaine à son plus haut niveau. Theallet remportera alors le prestigieux prix CVFF décerné par le CFDA et le magazine Vogue American. Elle sera l’une des premières à avoir promu la diversité et l’inclusivité dans ses défilés à New York et habillera la Première Dame des États-Unis Michelle Obama ainsi que nombre de célébrités américaines et internationales.
Une conversation entre Sophie Theallet et Maryline Bellieud-Vigouroux, Présidente du Fonds de Dotation Maison Mode Méditerranée.
Peux-tu nous parler du travail d’Azzedine Alaïa et de son impact culturel ?
Selon moi, Azzedine Alaïa est le lien entre le passé et le futur de la mode contemporaine. Plutôt que d’oublier le passé, il s’en ait servi comme un apprentissage. Monsieur Alaïa a démonté les vêtements des grands couturiers afin d’en percer leurs secrets et techniques dont il développera un savoir-faire qui lui sera unique. Pour moi, Azzedine était un vrai couturier dans le plus noble sens, capable de scuplter le corps de la femme. Il créait chaque pièce de ses propres mains. Il n’y avait pas de séparation entre l’homme et son œuvre. Azzedine vivait son art comme un vocation, il s’inspirait de tout : de l’art, de l’architecture, et même de la cuisine qui faisait partie intégrante de sa vie. Il n’a pas appris dans les livres ou sur un banc d’école mais à “l’école de la vie“. Un autodidacte à part entière ! Plus tard, ce sont les musées qui sont venus vers lui. C’est d’ailleurs toi la première, Maryline, en lui proposant de créer le musée de la mode de Marseille, qui l’as fait officiellement fait entrer dans les musées de mode au bon moment. Il lui fallait une femme qu’il aimait pour accepter. Le succès d’Alaïa tient dans sa maîtrise des matières, il était capable de les dompter et de les façonner à sa guise. Son ouverture d’esprit et sa curiosité étaient sa force, il s’entourait toujours d’esprits jeunes et créatifs, friands de découvrir quelque chose de nouveau… Il aimait apprendre de tous et toutes, s’intéressait à tout ! Il aimait aussi passer du temps avec les “petites mains “ dans son atelier ou dans les usines en Italie, celles qui travaillent dans l’ombre ! Tous l’adoraient ! Il aimait aussi le travail de l’artisan…pas seulement dans la mode mais dans toutes sortes de métiers. Le temps n’avait pas de prise sur lui, quand il travaillait plus rien ne l’importait… De fait, trois heures de sommeil par nuit lui suffisaient amplement !
Après dix ans passés à travailler auprès d’Azzedine Alaïa, es-tu parvenue à couper le cordon ?
Non, ce sont des liens qui ne se coupent jamais. Lorsque je suis partie à New-York pour lancer ma marque après dix ans de travail à ses côtés, nous continuions à nous appeler pratiquement 2 à 3 fois par semaine au téléphone …
Pour ma part, je ne retrouvais nulle part ce savoir-faire technique, cette façon impeccable de monter et de finir les vêtements. Il a formé mon œil aux millimètres près! Je vois le moindre défaut, et ça me rend toujours dingue aujourd’hui ! Aussi, quand j’ai monté mon propre atelier à NY, il m’était très difficile de trouver un personnel qualifié. Lors d’un voyage d’Azzedine à NY, je lui expliquais ma frustration et le manque de savoir faire. il m’a di t: “donne moi tes dessins…et je t’enverrai aussitôt rentré à Paris une Toile dont tu te serviras comme base, mais ne dis rien à personne ! C’est notre secret. ” Je n’en revenais pas ! Il s’est aussi mit à la machine à coudre pour expliquer à ma couturière comment piquer et faire l’ourlet sur la mousseline. Il pouvait être d’une grande générosité. Évidemment quand j’ai reçu la toile faite de ses propres mains, elle était parfaite ! À ce jour, je l’ai toujours et elle fait partie de mes « Trophées de Mode » les plus précieux. Je repense avec nostalgie à ces longs moments passés avec lui au cœur de la nuit, travaillant en silence ou en écoutant Oum Kalsoum. C’était magique voir parfois quasi-mystique.
À partir du lancement de ta marque Sophie Theallet à New York en 2007, tu défends la diversité et l’inclusivité bien avant que ce soit un sujet de société.
Absolument. Tout simplement parce qu’en arrivant à New York, j’ai observé les rues et les gens. Il y avait un brassage culturel et ethnique extraordinaire, un peu comme à Marseille ! Et en voyant les défilés à New York ça ne correspondait pas à ça!. J’ai donc eu envie tout de suite de représenter ce que je voyais. Mon premier défilé était un hommage à la beauté des femmes noires des plus foncées aux plus claires, car malheureusement, elles étaient sous représentées dans la mode et sur les podiums, mais tellement présentes dans ma vie. Après, il y avait les femmes rondes ; celles qui me ressemblaient. Avec la créatrice Cubaine-Américaine Isabelle Toledo, nous fûmes les premières à collaborer avec une marque spécialisée pour “Femmes Rondes”. Isabelle s’occupait du prêt à porter et moi de la lingerie. Je les ai aussi fait défiler pour ma marque, ce qui à beaucoup aidé à changer la façon dont elles étaient perçu dans la mode et a permis une meilleure représentation dans les magazines de mode et chez les créateurs qui ont suivit le pas.
Ensuite, il y a eu le prix du CFDA/ VOGUE Fashion Fund décerné par le CFDA (Council of Fashion Designers of America) et VOGUE. Cette reconnaissance américaine a-t-elle boosté ta carrière ?
Je n’avais aucune intention de participer à un concours quelqu’il soit. Je ne me sentais pas comme une jeune créatrice, étant déjà dans ma trentaine. Mais, une rédactrice a fortement insisté en me faisant comprendre que si je voulais réussir au Etats-Unis, il fallait en passer par là. Je la remercie du conseil car j’ai remporté le Prix. Ce qui fait de moi la première créatrice française à avoir remporté un prix du CFDA. Anna Wintour, qui est présidente du Jury, m’a immédiatement soutenu suite à cela. Avant de remporter le prix du CFDA j’habillais déjà Madame Obama, ce qui avait largement contribué à faire connaître le nom Sophie Theallet aux États-Unis. Le prix a encore renforcé cette notoriété.
Peux-tu revenir sur ta rencontre avec Michelle Obama ?
Michelle Obama avait acheté des robes Sophie Theallet chez Ikram, une boutique de luxe à Chicago sans que je sache. Un jour par hasard, en surfant sur le net, je tombe sur une photo d’elle portant une de mes robes, j’étais stupéfaite et honorée ! Ensuite, les commandes personnelles ont suivi. Plus tard, j’ai fait partie des créateurs invités à la Maison Blanche pour la rencontrer. Lorsque l’on a annoncé mon nom, elle est venue vers moi et a mis affectueusement ses mains autour de mon visage me disant à quel point elle était contente de me rencontrer. Je n’en revenais pas et me demandais comment elle pouvait connaître mon nom, car j’étais loin d’être la seule à l’habiller ! J’étais émerveillée. Azzedine qui habillait Michelle aussi était très fière de moi et n’a pas manqué de me féliciter.
Michelle Obama a vraiment changé la manière dont les femmes d’État s’habillaient, et à beaucoup soutenu les designers indépendants.
Tu as également habillé de nombreuses actrices hollywoodiennes.
En effet. Sharon Stone, Jessica Alba, Lupita Nyong, Meg Ryan, Jane Fonda, Kim Kardashian,… La liste est longue ! J’ai habillé beaucoup de célébrités sur les tapis rouges. Car il y a vraiment une tradition de “Red Carpet” aux Etats-Unis. Cela a beaucoup aidé pour une marque indépendante comme la mienne à avoir de la presse et de la notoriété.
Puis tu quittes les États-Unis pour Montréal, au Canada.
Je n’aime pas stagner et préfère bouger quand il est temps de partir! Or, à New-York, je commençais à ressentir une forme de “ras le bol“ qui me déplaisait. Donc plutôt que de devenir frustrée et perdre l’inspiration, j’ai préféré partir et recommencer une nouvelle aventure… Il faut dire aussi qu’à cette époque le climat politique avec l’arrivée de Trump m’a aidé à prendre la juste décision ! En plus, en ayant fait une lettre ouverte disant que je ne travaillerai jamais avec cette administration, cela m’avait attiré un tsunami d’insultes et de mauvaises vibes, parfois même très inquiétantes…
Pour finir, quelle part de Méditerranée y-a-t’il en toi ?
Cette appartenance à toujours été présente dans ma vie. Je suis originaire du sud-ouest. Enfant, j’ai toujours été baigné dans un monde où les cultures se mélangent! Petites je passais mes vacances en Méditerranée. Plus tard, c’était les voyages en voitures au Maroc. J’ai aussi travaillé pendant plusieurs mois au Maroc, où j’ai dessiné les uniformes de l’hôtel Tichka à Marrakech …Et puis évidemment il y a eu ma rencontre avec Azzedine avec qui j’ai retrouvé ce côté familial qui est typiquement méditerranéen. Azzedine avait vraiment la Méditerranée dans son cœur…
Aujourd’hui, depuis Montréal, Sophie Theallet a fondé avec son partenaire la marque: Room 502. Une librairie de styles essentiels, éthiquement fabriquée et vendue uniquement en ligne.
Nous avons lancé “Room 502” pour simplifier la vie et le shopping de la femme en lui offrant une garde robe de styles essentiels. Des vêtements de créateurs, extrêmement bien coupés dans des matières nobles à un prix défiant toute concurrence ! Chaque modèle est judicieusement choisi parmi les “best-sellers” de Sophie Theallet, des incontournables de la mode, des uniformes de tous les jours. Par exemple, nous avons le modèle Anna fait à partir d’une silhouette que nous avons faite pour Anna Wintour.
- Sophie Portrait : William Mooney B&W
- Alicia Keys wearing Sophie Theallet – ACM Honors
- Jessica Alba at the Metropolitan Museum of Art
- Kim Kardashian – Sophie Theallet – Time 100 Gala
- Michelle Obama – Style Sophie Theallet
- Sharon Stone
- Jennifer Lopez Visits “The Tonight Show Starring Jimmy Fallon” (Photo by Theo Wargo/Getty Images For NBC)
- Kate Winslet
- Michelle Obama – Style Sophie Theallet
- First Lady chose brigh floral Sophie Theallet dress
- Candice Huffine amfAR New York Gala 2017
- Anna Wintour wearing Sophie Theallet NYFW -September 2016
- Ines de la Fressange