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1/ La mode et le cinéma en Algérie : Appel du Bled (1942)

Habiller un cinéma idéologique, l’exemple de l’introuvable Appel du Bled (Partie 1)

Pour l’Exposition Internationale Coloniale de 1931, le Syndicat Français des Textiles écrivait dans son rapport: 

 

“Tous nos articles textiles concernant lhabillement, quels quils soient, sont susceptibles d’être vendus sur nos marchés coloniaux. … On remarque que ces chiffres sont dautant plus élevés pour chaque colonie, que celle-ci est  parvenue à un plus haut degré de civilisation. … A mesure que dans nos colonies s’étend le champ de notre action civilisatrice, nos indigènes, adoptant les moeurs des Européennes, en arrivent … à suivre la mode de chez nous.”

 

Le rôle de la mode comme outil et preuve de la mission civilisatrice est clairement annoncé dans cet événement propagandiste célèbre. Le rôle de la femme, à la mode et arborant les tenues du continent, y est aussi assez clair. La coloniale doit éduquer les populations locales dans des habitudes quotidiennes : se vêtir.

Photographie de femmes algériennes dans un ouvroir, couture à la main et machine type Singer, 1ère moitié XXe siècle

Nombreuses sections, peu étudiées, de cette exposition prônaient la modernité et la beauté des femmes coloniales. En parallèle, le cinéma y était aussi présenté avec un but : « diffuser le progrès matériel aidant à la civilisation, ou [servant] à distraire l’homme de ses travaux». Le cinéma était en effet utilisé comme outil de propagande assez élémentaire, dans cette histoire réfléchissante hégélienne où l’image, pour les continentaux notamment, était plus efficace que les textes.

En dehors du cinéma documentaire colonial, le cinéma récréatif avait de même toute une portée coloniale, et ce depuis la célèbre Atlantide de Jacques Feyder dès 1921 aux accents orientalistes des plus stéréotypés. On pense aussi à ces histoires filmées qui mettent en devanture le travail du colon — la première version de L’Aventurier, 1924, racontant l’histoire d’un homme rejeté faisant finalement fortune en Algérie et sortant sa famille de la ruine ; Le Bled de Renoir, de 1929, où un Parisien retrouve son oncle colon, et servant à montrer la dureté du travail de la terre d’une grande exploitation agricole dans les environs d’Alger ; le médecin qui vient sauver les vies humaines des barbares, et j’en passe.

En 1931, proche de la section mettant en valeur les progrès du cinéma, dans la section dite Métropolitaine, un espace entier était dédié à la “mode portée par nos femmes dans les colonies” avec un sous-espace “Haute Couture”. Le commissariat y était assuré par Jeanne Lanvin, et contrastait fortement avec les pavillons des colonies, où “femmes barbares” étaient montrées comme dans un zoo humain. Ce contraste fort qui jouait sur un principe ethnographique de juxtaposition des cultures, mettait en perspective l’aspect civilisateur des coloniales, et était central dans l’Exposition, un événement culturel à grand succès, que nombreux artistes, réalisateurs-trices ont visité et qui ouvre la décennie des films étudiés dans le premier chapitre de ma thèse. Physiquement et intellectuellement proches dans cette Exposition, ces deux domaines, le cinéma et la mode, tissent évidemment des relations. C’est en m’intéressant à cet espace où les deux se retrouvent et nouent relation, que le costume dans le cinéma colonial a pris toute sa validité dans ma thèse.

 

L’Appel du Bled, l’exemple le plus récent dans mon travail, est le film que j’ai choisi ici. Assez peu connu, difficile d’accès – seule une version en plusieurs bobines, abimées, semble exister, conservé au Patrimoine du CNC, Bois d’Arcy – il m’intéresse par sa représentation monocorde. Sorti en 1942, il s’agit d’un film aux accents pétinistes et colonialistes, dont le sous-titre évocateur était Femmes de Bonne Volonté, illustrant le rôle idéal d’une femme dans la colonie nord-africaine. Il raconte l’histoire de Germaine Moreil, qui suit son époux colon dans “le bled” – le Sud algérien — au damn de ses parents (“c’est pas un mariage, c’est un rapt”). L’histoire encense cette femme “de bonne volonté”, épouse avant tout, qui souhaite par exemple mettre fin à son voyage de noce dans le Maghreb, plaisir futile, pour vivre avec son mari colon, sur leur plantation :

“(Germaine) – Pierre, Partons tout de suite.

(Pierre) – Pourquoi cette précipitation ?

(Germaine) – Parce que je voudrais devenir ta femme, chez toi, enfin… chez nous. Dans la douceur d’une de ses nuits du Sud, dont tu m’as si souvent parlé.”

 

 

Bien qu’ayant de nombreuses difficultés d’adaptation, notamment à ses débuts, Madame Moreil est bien consciente de ses outils de coloniale. On la voit apparaitre rapidement dans ce costume idéal du colon, un colon au féminin, avec cette veste/vareuse de coutil, aux larges poches plaquées surpiquées. Le casque colonial en particulier attire notre oeil. Ce couvre-chef qui semble pourtant avoir été moins porté dans la colonie algérienne, — sauf pour les touristes — que dans d’autres colonies subsahariennes, est arboré ici avec fierté et en connaissance de symboliques. Vêtue finalement comme son mari, Madame est clairvoyante sur le rôle qu’elle doit jouer.

Parmi les difficultés qu’elle rencontre, il y a bien sûr celle de sa vie quotidienne : le shopping. Sa mère lui rappelle par lettre les beautés vestimentaires de France, les robes des élégantes sur la côte normande, de Cabourg, près de Deauville. Partant à la recherche de commerçants et de boutiques, elle ne trouvera qu’un bazar où un commerçant tente de lui vendre tout et n’importe quoi qui a un rapport avec la féminité : savonnette, sorte de parfum, tissus pour des robes. Pour autant, malgré ses difficultés d’approvisionnement, Germaine ne se laisse pas aller.

Aménageant et décorant son intérieur, comme elle sait d’ailleurs décorer son corps de tenues de soie, satin, jupes et blouses aux coupes travaillées et plis soleil, Madame Moreil choisit pour son intérieur une icône apotropaïque interessante pour protéger son foyer, disposée proche du lit conjugal, et veillant sur elle, sur son rôle de femme. Il ne s’agit pas d’une icône religieuse, mais bien d’une icône de mode. Cette icône n’est autre qu’une gravure de mode du XVIIIe siècle, tirée d’un des périodiques les plus célèbres de l’époque: La Galerie des Modes. Ce périodique propageait l’image de la grandeur française, de son goût, et, déjà, signait cet empire de la mode française à la fin du XVIIIe siècle. La gravure présente une femme, regardant sa spectatrice, elle est vêtue d’une grande robe unie de cérémonie, à paniers, de taffetas des Indes, et dont d’ailleurs le goût des plis travaillés, partagée avec sa protégée, apparait dans les falbalas plissés du manteau de robe et de la jupe.

Madame Moreil, bien que ses tenues changent, s’adaptent au climat et à ses activités, ne se laisse jamais aller, et surtout je dirais, ne se laisse pas influencer par les autochtones autour d’elle. Le film finalement repose sur un principe de juxtaposition assez clair, où la femme européenne dénote (pour une fois en bien, dirait-on à l’époque).

 

La modernité et la supériorité, l’évolution — terme choisi volontairement pour parler des premières decencies du XXe siècle saturées de théories darwinistes, évolutionnistes et raciales — de la femme européenne est idéalement présentée dans plusieurs supports a cette époque: exposition, littérature, photographie, et le cinéma bien entendu.

 

 

Pierre-Jean Desemerie est lauréat (2022-24) de la Bourse Scientifique du Fonds de Dotation Maison Mode Méditerranée. Il travaille pour sa thèse sur le vêtement des femmes coloniales en Algérie (1925-1942). Dans le premier chapitre de sa thèse, Pierre-Jean s’intéresse à la question de la représentation du colon et de la coloniale, notamment à travers le cinéma. Il présente dans cet article en deux parties deux exemples du cinéma qui lui plaisent particulièrement : un film assez inconnu, mais à la représentation de la coloniale très stéréotypée L’Appel du Bled (1942) ; un autre bien plus connu mais dont il présente une analyse moins bidimensionnelle comme cela a souvent été le cas : Pépé-le-Moko (1937). Les résultats de ces recherches n’auraient jamais vu le jour sans le soutien du FDMMM.

 

Cet article est extrait d’une conférence présentée à Paris 3 pour le Colloque Le Costume sur un Plateau (2e édition, 2022). Deux essais plus long viendront à être publiés : dans la revue scientifique Théorème de la Sorbonne / dans un ouvrage plus complet aux Presses Universitaires de Bordeaux.

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