30/01/2023 Interview Mossi : designer engagé. La Couture en commun.
Mossi Traoré, fondateur de MOSSI, se décrit comme un « entrepreneur social ». À la fois créateur et directeur de sa marque de vêtements, chacun des projets qu’il entreprend est mu par la volonté d’inclure une dimension sociale et inclusive. Ayant fondé l’école de haute couture et de ré-insertion « Ateliers Alix » avec l’aide d’une ancienne couturière de Madame Grès, Madame Thomas, il aide aujourd’hui de nombreux jeunes à s’initier à la création artisanale et à se professionnaliser dans un savoir-faire de plus en plus rare au sein de la mode. Nombre des anciens élèves rejoignent chaque année les ateliers des maisons de haute couture. Lorsqu’il avait découvert les drapés de Madame Grès, Mossi avait enfin vu un moyen d’associer sa passion pour la mode japonaise à son attrait grandissant pour la haute couture. Depuis, il voyage fréquemment en Inde et en Italie pour y sourcer des produits d’excellence et renforcer son lien avec ses deux cultures qu’il affectionne. Originaire du Mali, le designer social a grandi en banlieue parisienne, entre le 73 et le quartier de la Goutte d’Or, où il a pris le temps d’observer, à distance, le fonctionnement de la mode contemporaine. Alors, depuis son premier défilé, il ne cesse de repousser les frontières de la mode, accueillant ses invités tantôt dans les sous-sol du Louvre, tantôt dans le 18ème arrondissement de Paris. En 2022, il a même été le créateur invité d’honneur de la Indian Fashion Week. Avant cela, en 2020, il devient lauréat du Prix Pierre Bergé de l’ANDAM et est inscrit la même année au calendrier officiel de la Fashion Week parisienne. Mossi compte à son actif une campagne réalisée aux pieds du Maharadjah avec la danseuse étoile Marie- Agnès Gillot, une collection Printemps-Été 2023 baptisée « Ripeurs » en hommage aux éboueurs, une collaboration avec Adidas, un documentaire sur Canal+, ou encore l’accueil des oeuvres de la célèbre sculptrice Nicole Pheulpin au sein de son concept-store en plein coeur du Carrousel du Louvre. Autant de productions, visions, et projets hétéroclites qui donnent une idée de sa personnalité toujours foisonnante et bienveillante. Mossi Traoré pense au collectif car c’est ainsi qu’on renforce l’individuel.
Pour le Fonds de Dotation Maison Mode Méditerranée Saveria Mendella doctorante en études de mode, a rencontré le créateur, avec qui les liens seront renforcés tout au long de l’année 2023 à travers diverses actions à découvrir prochainement. Retour en exclusivité sur un parcours original comme la mode sait les détecter.
Saveria Mendella : “Vous avez toujours envisagé la mode comme un secteur culturel et social. Cet angle à la base de tous vos projets vient-il d’un manque que vous avez observé dans le secteur ?”
Mossi Traoré : “À la fin de mes études à Mod’Art, j’avais envie de créer un collectif de créatifs avec mes camarades qui étaient originaires différentes cultures. Mais ils avaient aussi différents statuts sociaux et je me suis vite aperçu de la complexité administrative ! Je me suis donc retrouvée à aider mes amis indiens, japonais et chinois avec leur titre de séjour. De même lorsque j’ai commencé à développer des partenariats avec ma ville et que je rencontrais des publics qui avaient ce type de problème quotidien. En fait, en parallèle du challenge créatif, j’ai toujours aimé le challenge social. Les deux sont venus naturellement, je les ai expérimenté.”
Saveria Mendella : “Concrètement, quelles sont les actions que vous avez mises en place ?”
Mossi Traoré : “Elles passent par les Ateliers Alix. Au sein de l’école, il y a trois types de formations. Les ateliers haute couture qui permettent de préserver la haute couture et la rendre accessible tout en aidant les élèves à s’insérer professionnellement. L’école propose également des formations professionnelles sur-mesure à des personnes ou organismes. Il est aussi possible d’y passer le CAP Couture en candidat libre, notamment pour des mamans issues de quartiers prioritaires que l’on prépare à passer le CAP. Obtenir un diplôme aide à être fier de soi et à valoriser l’estime de soi. Enfin, nous avons les ateliers de couture et cohésion sociale du week-end. Par exemple, un même atelier avait accueilli une maman du quartier et une cadre de chez L’Oréal ! Majoritairement, ce sont des femmes qui viennent à ces ateliers, j’arrive rarement à y ramener des hommes. Mais, selon moi, développer ce type de projets est une véritable richesse pour la cohésion sociale. Mon associée pendant cinq ans, Youngja Park-Vadaine, a grandement contribué à inciter les participantes à s’ouvrir les unes aux autres. Je lui dois aussi mes réussites dans la mode tant elle m’a accompagné sur mes divers projets.”
Saveria Mendella : “Les Ateliers Alix sont la première et seule école de Haute Couture en France. L’idée vous est venu de votre admiration pour la couturière Madame Grès. Pouvez-vous nous parler du drapé et en quoi cette technique vous inspire-t-elle ?”
Mossi Traoré : “Tout commence avec Madame Thomas, ancienne couturière de chez Madame Grès, qui m’a aidé à monter les Ateliers Alix. Je tiens à lui rendre un hommage infini. C’est une personne passionnée de couture qui, à 14 ans, quitte le collège et se lance dans une formation de couture. Elle est entrée chez Cristobal Balenciaga à seulement 17 ans ! Elle maîtrise les drapés Grès comme personne aujourd’hui et a même été nommée meilleure ouvrière de France.
Mon rêve de mode est de former de nouvelles Madame Thomas. En découvrant son travail, j’ai compris l’importance du métier de couturière et l’encadrement d’apprentissage ultra rigoureux qu’il nécessite. Pour moi, les plissés de Grès sont intemporels. Déjà à l’époque, son univers inspiré de la Grèce Antique était ultra contemporain. Porter une robe de Madame Grès aujourd’hui ne laisse pas indifférent, même au MET Gala ! Elle raconte le beau. Pour l’anecdote, j’ai découvert le travail de Madame Grès grâce aux mangas. J’ai toujours adoré lire des mangas, et, durant mes études de mode, je cherchais à m’inspirer des personnages du manga « Les chevaliers du zodiac » qui lui même s’inspire de la Grèce Antique.
Saveria Mendella : “À chacune de vos collections, vous rendez hommage à des artistes (parfois sous forme de collaborations) ainsi qu’aux cultures indiennes, japonaises ou italiennes. Racontez-nous ces inspirations.”
L’Italie, et précisément la Sicile, a été mon premier voyage à l’étranger. Pour un gamin qui sort de la cité et se retrouve à manger des pizzas tout en faisant du tourisme, c’était le rêve ! Le début de mon ouverture sur le monde. Ma passion pour le foot aussi m’a fait adorer l’Italie. Quant à l’Inde, c’est une passion qui remonte à l’enfance et aux films indiens que l’ont regardé à la maison. Dans les communautés afro-maghrébines, on regarde beaucoup de films indiens.
Je n’avais pas de jeu de société à la maison, mais il y avait quelques films indiens qu’on regardait en boucle. Je rends hommage a des cultures qui m’ont épanoui dès mon enfance et ont amené une chaleur à la maison. Et si j’accentue l’hommage à la culture indienne c’est parce que j’adore le sari. Pour moi il s’agit du plus beau vêtement qu’une femme puisse porter.”
Saveria Mendella : “À quand une collection qui explore vos origines maliennes ?”
Mossi Traoré : “Je l’ai fait en collaboration avec l’artiste Ibrahim. Mais, lorsque j’ai lancé ma première marque avec mon amie Zhen Balo, on a loupé cet hommage. À nous deux, nous représentions une sorte de métaphore de mode sur la Chine et le Mali qui se rencontrent à Paris. Avec tous les enjeux et l’engouement sur ces deux pays, cette histoire aurait pu plaire ! Mais nous avions des envies artistiques divergentes et n’étions pas prêts. Cependant, Zhen m’a appris à vraiment habiller les femmes pour les femmes. Et puis, j’ai véritablement baigné dans une culture franco-malienne avec sa richesse et ses maladresses mais, au fil du temps, j’ai été rebelle face à ces traditions. Je précise : pour moi ce sont de très belles traditions, dont le fait d’être assis par terre tous ensemble et de manger à la main et la solidarité qui en découle. Mais, en tant que descendant de cette culture, j’ai aussi eu de mauvaises interprétations de ma culture religieuse et je me suis rebellé en me détachant. Cette polarité infuse tout mon travail créatif. Pour des motifs religieux, je suis convaincu que ma réussite ne dépend pas seulement de mon argent mais aussi de l’héritage que je vais laisser. Être un créateur à succès et avoir une équipe qui a du mal à boucler les fins de mois est pour moi le signe d’un échec total.”
Saveria Mendella : “Pourquoi est-ce si important pour vous d’entretenir l’héritage de la mode artisanale ?”
Mossi Traoré : “Les créateurs de l’époque de Madame Grès ne trichaient pas avec la mode et la création. Lorsque nous réalisons des pièces haute couture avec mes élèves, on se rend compte du travail que ça représente. Il faut savoir pourquoi on crée et connaître la valeur de ce qu’on porte.”
Saveria Mendella : “Beaucoup de vos évènements ont lieu dans des lieux inattendus, qui rappellent la dimension commerciale de la mode (Carrousel du Louvre) ou qui se décentrent des zones historiques de défilés (Paris 18ème). En quoi la multiplication des lieux où se produit la mode permet une mode plus inclusive et grand public ?”
Mossi Traoré : ” En période de Fashion week, la mode est une sorte de machine et l’on devient prisonnier du temps. Pourtant, lorsque je pense une collection, le processus dépend de ma vie personnelle et d’où j’en suis à cette période là. C’est un état d’esprit, un voyage intime qui prend un temps qui n’appartient à personne d’autre et mes choix de lieux sont animés par ses envies personnelles. Quand on crée, il y a forcément de l’intime. Mais il faut aussi aimer les défis ! “
- SS22 Collection – Photographe @olesyashilkinaart
- Collection SS23 – Printemps/été. Photographe Michel Dupre