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29/09/2022 Lecoanet Hemant : Les orientalistes de la haute couture

Photographie de Dominique Issemann parue dans Vogue Paris, 1991. Heather Stewart-Whyte en Leconaet Hemant.

Préface du Livre Lecoanet Hemant (conçu et écrit par Sylvie Marot) par Maryline Bellieud-Vigouroux :

La création  en 1988 du Musée de la Mode de Marseille a suscité auprès des couturiers et créateurs parisiens un vif enthousiasme, notamment auprès de la jeune génération dont les Lecoanet Hemant étaient les chefs de file de la “Couture Création”. Ce musée de la mode nous le voulions résolument contemporain tant dans sa programmation que dans ses collections avec l’envie d’associer ceux qui débutaient leur parcours de couturier et créateur aux cotés de leurs aînés.

Je me souviens avec ravissement de notre premier rendez-vous dans leur boutique de la rue du Faubourg Saint Honoré. Nous avions presque le même âge, ce qui simplifia toute forme de protocole. Ils ne recevaient pas l’épouse du Maire de Marseille mais une jeune femme porteuse d’un projet culturel inédit que je souhaitais leur présenter. 

C’est dans ce carré d’Or du 8 ème que ce binôme de couturier globe trotter français et indo-germanique créait et habillait les femmes cosmopolites et raffinées à la recherche d’un vêtement d’exception inspiré par deux cultures, entre  l’Orient et l’Occident. La justesse de leurs robes courtes aux drapés flottants, ou longues en mousseline pareilles à des saris aux couleurs vives, drapés et brodés, revisitaient avec subtilité les techniques traditionnelles de la couture occidentale. Je me souviens particulièrement  de tailleurs  en ottoman  au décolleté décollé en forme de corbeille donnant un port de tête altier. 

Je les aimais tant que je ne puis résister à la tentation leur demander s’ils accepteraient de faire une donation au  musée de la mode. Ce qui fut fait et par la suite complété tout au long des années par de nouveaux ensembles enrichissant le  patrimoine vestimentaire contemporain du musée de la mode. 

 

Émerveillée, je le fus à chacun de leur défilé Haute Couture. Hemant et Didier sont souvent venus en amis à Marseille partager et transmettre aux  étudiants et créateurs méridionaux, la richesse  du métier de couturier mais aussi parler sans tabou de l’exigence qu’il requiert et de la recherche créative constante dont il se nourrit. Une passion qui depuis quarante années ne s’est pas émoussée, bien au contraire.

La signature Lecoanet-Hemant multiplient les projets comme dernièrement leur partenariat avec la marque éco-responsable  indiennes Silai Wali pour habiller des poupées promouvant la diversité culturelle, le lancement d’une ligne de Prêt-à-Porter Paris, New Delhi et cet ouvrage, publié cette année chez Snoeck Publishers dirigé par Sylvie Marot, qui retrace sur quatre décennies l’itinéraire créatif et pluri-culturel entre Paris et l’Inde de deux couturiers talentueux, flamboyants, solaires qui font partis de mes plus belles rencontres .

> Retrouvez l’article de Sylvie Marot; consultante en patrimoine de mode, auteure et commissaire d’exposition, sur Lecoanet Hemant.

 

A l’occasion de l’inauguration de l’exposition « les Orientalistes de la Haute Couture ».

Rencontre & Interview de Lecoanet Hemant par Khemaïs Ben Lakhdar doctorant-chercheur de l’IFM Sorbonne et boursier 2021/22 du Fonds de Dotation Maison Mode Méditerranée. Khemaïs Ben Lakhdar travaille sa thèse sur « La mode orientale : le tournant ethnographique de la Haute couture à la Belle Epoque ».


 

Lecoanet Hemant : Les orientalistes de la haute couture, exposition rétrospective de l’œuvre de la maison Lecoanet Hemant sous le commissariat scientifique de Shazia Boucher est actuellement visible à la Cité de la dentelle et de la mode de Calais.

On y découvre le travail créatif de cette maison de couture pionnière des années 1980, et aujourd’hui implantée en Inde. Par l’intermédiaire d’une scénographie audacieuse, près de quarante années de création sont mises à l’honneur et illustrées par quatre-vingts tenues. Le parcours d’exposition nous invite thématiquement à pénétrer dans l’univers de cette maison de couture. Cette dernière a progressivement tissé des liens intimes avec l’orientalisme, ce mouvement artistique et vestimentaire prenant pour sujet et objet de représentation l’Orient et qui compte les noms célèbre d’Eugène Delacroix, Jean Léon Gérôme, ou encore Paul Poiret, Jean Patou, Jeanne Lanvin, et beaucoup d’autres.

Le spectateur est conduit dans un environnement multisensoriel, à la découverte des “Parfums d’Orient”, des “Jardins de Shalimar”, de “La Route de la Soie”, et d’autres vitrines mettant en scène l’opulence et le raffinement du travail du couple. À l’occasion du vernissage, Le Fonds de dotation Maison Mode Méditerranée a eu la chance d’interviewer Didier Lecoanet et Hemant Sagar, qui entretiennent depuis longtemps des liens intimes avec notre institution. Retour sur cette rencontre.

De gauche à droite: Robe de bal en satin duchesse. Corsage à drapé asymétrique. Jupe drapée doublée de velours – Collection La Broderie et son origine Haute couture, automne-hiver 1997 Manteau en laine bouclée et broderie de fils chenilles – Collection Un hiver en Jade Haute Couture, automne-hiver 1998

Rapidement après l’ouverture de leur maison en 1980, Lecoanet Hemant accède au très fermé et prestigieux calendrier officiel de la Haute Couture parisienne. De 1984 à 2000, c’est trente-trois collections qui sont présentées au cœur de la capitale française, aux noms évocateurs et mystiques comme: “Le Voyage d’Ibn Battûla”, “La broderie et son origine”, “Un hiver de Jade”, ou encore “Le Bhoutan”. En 1994, Ils reçoivent, pour leur collection “Aglae”, le dé d’or européen de la mode pour la “recherche créative”, véritable consécration de leur carrière. Pour Hemant Sagar, la Haute couture incarne une institution officielle et sacrée qui le faisait rêver avant même d’entreprendre ses études à la célèbre école de la chambre syndicale. Pour lui, aucune discussion n’était possible, il n’y avait qu’une “seule voix et c’était celle-là. On ne voyait rien d’autre avec Didier”. Cette décision est d’autant plus audacieuse que la fin des années 70 et le début des années 80 coïncident avec une perte de popularité du secteur du fait notamment de la montée en puissance d’une vague de designers de prêt-à-porter, considérés comme “rebelles”. La Haute couture, jugée vieillissante par la presse et les clientes, est cependant le dernier bastion d’un savoir-faire artisanal qui a fait de Paris le centre de la création vestimentaire. Didier Lecoanet et Hemant Sagar, qui ouvrent leur maison en sortant d’école et sans s’être au préalable formés chez d’autres couturiers, sont parfaitement conscients de cet héritage qu’ils se plaisent à parfaire au fur et à mesure des années. Hemant ironise même, considérant “qu’il est absolument clair que notre exposition n’aurait pu exister aujourd’hui s’il avait été composé de modèle prêt à porter”. Sans jamais oublier la ville lumière, le couple choisit de s’installer en Inde à partir de l’an 2000, afin de conquérir ce nouveau marché et d’écrire une nouvelle page de leur histoire. La maison Lecoanet Hemant s’insère dans le segment du prêt-à-porter de luxe, encore à l’état embryonnaire et propose des collections qui allient l’air du temps et la rigueur du processus créatif qui a fait leur singularité et leur réussite.   

 

Tout au long de l’entretien, les deux créateurs ont explicité ce processus créatif qui est le leur depuis le début de leur carrière. Plus qu’une simple conjoncture, les inspirations asiatiques et orientales sont tout à fait constitutives de leur style et ce dès le début de leur longue période de création. “Ce sont forcément les voyages qui ont inspiré toutes nos collections. Nous partions souvent en Asie et cela a influencé subconsciemment nos designs” explique Hemant Sagar. Et d’ajouter “Mais je dois dire que c’était vraiment une démarche de funambule de ne surtout jamais reproduire à l’identique un sari, ou un quelconque habit traditionnel. C’était extrêmement important pour nous”. Cette indication en dit long sur leur processus créatif alliant, en un savant mélange, un dialogue interculturel et une volonté de créer de l’unique et de l’original. Dans l’œuvre de Lecoanet Hemant, l’Orient n’est pas un prétexte à une sorte d’évasion spatio-temporelle, ni même le lieu d’un quelconque fantasme. Évoquant sa double culture (franco-indienne), Hemant explique n’avoir eu de cesse de vouloir engager une rencontre esthétique et formelle par l’intermédiaire d’un travail créatif à cheval entre différents continents. Dans leur œuvre, l’idée du voyage est synonyme d’échange, de transfert et de raffinement. Et ce processus créatif mis en action au gré de leurs nombreuses collections leur permet de se singulariser dans cette industrie de la mode parisienne. Les drapés Lecoanet Hemant, directement inspirés de ceux des cultures orientales, sont adoubés pour leur souplesse et leur confort. Il ne ressemble à aucun autre. Contrairement à ceux de Madame Grès, cousus à plusieurs endroits, les leurs sont dit “non-tenus”, apportant une sophistication nouvelle à cet exercice de style traditionnel de la Haute Couture parisienne. Leur connaissance aiguë des techniques de coupes, qu’ils acquièrent en autodidacte et enrichi par l’artisanat asiatique, les conduit à proposer une haute couture singulière et de très haute volée.

 

Robe-sari portefeuille en crêpe marocain – Collection Aglae Haute Couture, printemps-été 1994

 

 

C’est d’abord visuellement que Didier Lecoanet approche l’esthétique et les cultures matérielles orientales. Prenant l’exemple des sarongs et des saris, il explique regarder le tombé, l’aspect et les réactions de ces tissus provoquant des drapés aléatoires sur le corps; sélectionne ceux qui l’intéressent formellement le plus et il les fige selon les techniques de la couture parisienne. “Et disons que c’est à ce moment qu’intervient le geste occidental dans le processus créatif”, explique-t-il. De la même manière, ils s’intéressent de façon très minutieuse à l’artisanat indien et asiatique qu’il cherche à repenser, et à emmener vers d’autres sphères pour “y injecter une part de création nouvelle, faire du nouveau avec de la tradition.”  Pour ce faire, les deux créateurs, rapidement, après l’ouverture de leur maison, se sont offerts les services de Madame Juliette, ancienne première d’atelier de la maison Balenciaga, mémoire vive et gardienne du temple du savoir-faire couture. Elle leur permet de perfectionner leur technique de confection selon les procédés traditionnels, de comprendre les proportions corporelles, les détails et construction. Car selon Didier Lecoanet “la Haute Couture, c’est avant tout de l’orthopédie”, une science appliquée au corps féminin et qui ne doit jamais perdre de vue ce but premier. “Il faut connaître parfaitement le corps pour pouvoir donner une expression artistique au vêtement”.

 

Châle, brassière et pantalon souple en coton biologique traité selon les principes ayurvédiques – Collection Ayurganic 2019

La fin de l’exposition rend également compte du riche travail entrepris par la maison dans le secteur du prêt-à-porter de luxe en Inde à partir des années 2000, mettant notamment en lumière l’engagement écoresponsable des créateurs et du processus de fabrication des collections. Rappelant que cet intérêt voit le jour de façon très précoce dans le travail du couple, il se cristallise par la suite avec l’ouverture de leur ligne Ayurganic notamment, représentée par deux silhouettes dans l’exposition. Simplement évoquée, nous avons voulu aller plus loin et interroger les créateurs sur cette ligne de vêtements de luxe qui entend synthétiser les préceptes de l’ayurveda, médecine traditionnelle indienne et dans un certain sens l’idée de la création couture. Il s’agit de vêtements pour le bien-être. Avant d’être utilisés, les tissus sont trempés dans une préparation ayurvédique qui leur donne cette teinte organique allant du blanc au grège. Hemant Sagar, de commencer : “Ayurganic, c’est une idée de paix intérieure, de l’esthétisme qui se trouve dans le bien être”. Et Didier Lecoanet de poursuivre d’une même voix : “La relation entre Haute couture et Ayurveda est tout à fait évidente pour nous. En couture, on s’est beaucoup intéressé aux intérieurs des créations, aux soins qu’on apporte aux doublures. En définitif à la beauté intérieur du vêtement. Avec Ayurganic, il s’agissait de soigner la beauté intérieure du corps et c’est une relation tout à fait directe et logique par rapport à notre démarche. C’est une façon de boucler la boucle.” Finalement, nous pouvons tirer du travail de Lecoanet Hemant cette idée d’une rigueur technique, d’une poésie décorative, d’une recherche acharnée et sans cesse renouvelée mais surtout d’une cohérence créative qui nous permet aujourd’hui de considérer leur carrière dans la mode (passée et à venir) comme une véritable oeuvre.

Exposition Lecoanet Hemant : Les orientalistes de la haute couture

Du 18 juin au 31 décembre 2022

Cité de la dentelle et de la Mode

135, quai du commerce 62100 Calais

Publié le 29/09/2022.

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