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Le “wearable art” et la poésie de l’artisanat chez Bashaques – 21/03/2022

Le Fonds de Dotation Maison Mode Méditerranée met en lumière le travail créatif de Başak Cankeş, fondatrice de la marque turque Bashaques, et lauréate du prix OpenMyMed en 2015 pour sa collection Once. Retour sur sa vision de la mode, alliant en un savant mélange art, poésie et artisanat, ainsi que sur son actualité.

 

Başak Cankeş est diplômée des Beaux-Arts d’Izmir, en Turquie, ainsi que de la Central Saint Martins School de Londres. Artiste designer de mode, depuis 2014 (date de lancement de sa marque de vêtement Bashaques), elle conduit une réflexion particulièrement intéressante dans son processus créatif, jetant de nombreux ponts entre l’art et la mode. Refusant les diktats imposés par le système de la mode internationale, fait de vitesse effrénée et de présentations sous forme de défilé à date fixe, Başak prône une lenteur nécessaire pour conserver qualité et authenticité dans son travail. Création et production raisonnée utilisant des techniques de tissage protéiformes et l’artisanat méditerranéen sont ses maîtres mots.

 

 

 

 

L’Art portable à la mode ottomane chez Bashaques

Tout cela la conduit à élaborer un vestiaire qu’elle se plaît à nommer Wearable Art (l’art portable) ; une création de pièces uniques réalisées exclusivement à la main et qui incorpore visions artistiques, savoir-faire méditerrannéen d’artisans spécialisés. Elle semble trouver une réponse ingénieuse à cet éternel débat autour du statut de la mode dans les industries créatives et culturelles. En proposant un vestiaire qui mettrait sur un pied d’égalité inspirations artistiques et portabilité, Başak Cankeş entend s’éloigner de l’objectif capitaliste de la Fast Fashion pour élaborer une Oeuvre, qui au lieu de s’exposer uniquement dans des galeries d’art, aurait aussi pour support le corps féminin. L’art portable consiste à émanciper tableaux, miniatures, céramiques de leur sphère d’exposition traditionnelle pour les transposer dans des espaces vestimentaires quotidiens.

Pour ce faire, elle trouve principalement son inspiration dans la richesse et le foisonnement des cultures méditerranéennes et plus précisément de la culture turque. Pour sa collection Ballerina’s Hidden Dream, elle reformule à l’aide de collaborations avec des artistes et artisans la très célèbre céramique d’Iznik (inscrite en 2016 au Patrimoine culturel immatériel de l’humanité). Ce vocabulaire ornemental embellit certaines pièces de la collection (impression des motifs sur de la soie) mais également lui inspire de nouvelles formes de vêtements. En effet, la grenade, élément récurrent dans l’ornementation turque (symbole de l’Empire, d’abondance et de prospérité), est transcendée pour devenir un des modèles les plus impactants de la collection.

 

 

 

 

La réinterprétation du costume traditionnel ottoman et des cultures orientales s’avère être également une constante dans son travail créatif qui propose un vestiaire à mi-chemin entre tradition et modernité. Dans sa collection Entrada de Gala en el Haren, les différentes takunya reformulées (des chaussons de hammam, composé de plateformes en bois, utilisés par les riches femmes turques pour ne pas marcher sur le sol humide des bains) lui sert de support à des peintures qui synthétisent l’art extrêmement raffiné de la miniature ottomane et l’univers surréaliste de Salvador Dali, que Başak aime particulièrement. Dans cette même perspective, elle réalise ce qui s’apparente à de grandes couvertures turques traditionnelles de soie brodées dans le style des enluminures ottomanes, aux couleurs chaudes et éclatantes.

 

Dans sa création, il y a évidemment le leitmotiv du caftan, sans cesse réinterprété et reformulé. Costume traditionnel par excellence en Turquie, cette matrice vestimentaire se retrouve dans l’entièreté du bassin méditerranéen, racontant à elle seule des itinéraires de commerces, de déplacement de populations mais aussi des synthèses créatives de techniques et confections. Ce manteau (ou robe longue dans certains cas au Maghreb, au Maroc par exemple) cintré sur la partie supérieure et qui s’évase vers le bas, trouve un important ancrage dans l’idée d’Art portable de Bashaques. Il se décline en différentes couleurs et matières. Beaucoup de ceux qu’elle propose en pièce unique sont réalisés grâce à des impressions textiles de motifs traditionnels sur des tissus nobles. Ces caftans rencontrent aussi quelquefois le kimono japonais pour n’en faire qu’un, donnant ainsi l’impression d’une enveloppe vestimentaire toute en légèreté (voir photo ci-dessus).

 

Başak Cankeş puise également son inspiration dans toute la tradition textile de Turquie, et notamment celle du kilim. Dans la tradition turque mais également orientale, ces tapis tissés (et non noué) sont beaucoup plus que de simples objets décoratifs dans la mesure où ils incarnent un vocabulaire symbolique, fait de formes, de motifs et de couleurs signifiantes pour chacune des régions de la mosaïque culturelle qu’était l’Empire ottoman durant des siècles. Başak utilise notamment ces textiles pour raconter des histoires croisées entre tradition et mode européenne, en ayant toujours à cœur de mettre en lumière l’histoire et les artisans qui collaborent avec sa marque. Dans cette perspective, Başak pense une évolution dans la pratique attachée à ces objets culturels. Plutôt que de se retrouver sur le sol ou les murs en tenture, elle les utilise comme matière première de plusieurs modèles de vestes, transcendant par la même leur usage originel pour les amener dans le champ de la création vestimentaire.

 

 

Un travail collaboratif avec des artisans du monde entier

En plus d’utiliser comme inspiration la culture turque, Başak Cankeş s’est très rapidement ouverte à d’autres horizons créatifs en s’intéressant notamment à l’Espagne avec le Modernisme Catalan incarné par Antoni Gaudi (collection The Door) mais aussi aux héritages artisanaux et vestimentaires d’Asie Centrale. Pour sa collection Golden Age, il est question d’élaborer vestimentairement l’itinéraire d’une femme afghane jusqu’en Europe en célébrant les traditions artisanales de cet Orient élargi. En résulte, un travail faisant dialoguer le pouvoir décoratif de l’Ikat, des suzanis ouzbek, des bonnets afghans brodés, dans une expérience alliant défilé de mode et performance artistique dansée.

Non contente d’en rester là, Başak Cankeş a entrepris ces dernières semaines un long voyage en Amérique latine à la rencontre de très nombreux artisans, entre autres péruviens et colombiens. Cette fois-ci de l’autre côté de l’océan Atlantique, elle poursuit ces conversations et ses échanges créatifs, en mettant au cœur de ce projet le dialogue tissé de cultures très différentes. À la manière d’un carnet de bord, son compte Instagram relaye ses étapes, rencontres et collaborations. En plus de présenter certaines de ses réalisations, elle met en lumière les garants de ces histoires qui se racontent sur un métier à tisser. En plaçant au centre de cette réflexion la richesse incommensurable du vocabulaire ornemental turc et la pluralité des techniques de tissage d’Amérique latine, elle formule un vestiaire fait d’hybridation, d’entrevues surprenantes et inopinées. Dans une publication datée du 19 janvier 2022, elle dévoile une partie du fruit de ce travail en présentant un hamac colombien tissé à la main et décoré d’un motif traditionnel des kilims d’Anatolie intitulé “Eli belinde kız” (littéralement fille avec mains sur les hanches – symbole de maternité et de fertilité). Il ne reste plus qu’à attendre le résultat de cette collaboration qui sera accompagnée d’un documentaire.

 

 

Khémaïs Ben Lakhdar, doctorant en Histoire de l’art et de la mode et titulaire de la bourse Recherche 2021 du Fonds de Dotation Maison Mode Méditerranée

 

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