logo
Lorem ipsum dolor sit amet, consectetuer adipiscing elit, sed diam nonummy nibh euismod tincidunt ut laoreet dolore magna aliquam erat volutpat. Ut wisi enim ad minim veniam, quis nostrud exerci tation.
banner
About      Faq       Contact     Shop

Les premières années de Vogue en France : un point de vue méditerranéen entre fantasme et élitisme – 16/03/2022

Vogue. 1939-05 – Gallica

 

En 1939, l’écrivain, journaliste, et haut-fonctionnaire français Pierre Lyautey s’est rendu au Maroc. Quoi de mieux que l’oeil et la plume de ce parisien mondain du 20ème siècle pour en faire un sujet de mode. Ainsi, l’édition française de Vogue (pas encore baptisée « Vogue Paris »), offre – en Janvier 1939 – deux pleines pages à ce portraitiste de la bourgeoisie parisienne pour relater son expérience marocaine.

Bien que grand explorateur de notre monde, Pierre Lyautey vient alors renforcer, grâce à ce bref carnet de voyage, le positionnement voulu par le média et une certaine élite consistant à ériger Paris non pas seulement en une capitale, mais bien en la capitale de la mode et de la culture. Précisons que cette élite n’est pas nécessairement nationale, et que des personnalités de la mode, telle que la rédactrice américaine Diana Vreeland ou le couturier Cristobal Balenciaga, contribueront à renforcer cette image de Paris à travers leurs discours (autobiographies, articles de presse, lieux de vie,…).

 

Depuis sa création en France en 1920, chaque mois, voire chaque semaine selon les périodes, les lectrices de Vogue réceptionnent quantité d’informations sur la mode dite « parisienne » et l’avant-gardisme qu’on lui octroie par le biais d’une construction idéologique fondée sur des articles et photographies qui ont alors une fonction de preuves matérielles. Dans les pages du Vogue, sont publiés de nombreux textes et images vantant Paris sous toutes ses coutures. Technique que l’on qualifierait aujourd’hui de « soft power » et qui a pour but de faciliter les rapprochements conceptuels dans l’imaginaire collectif au point de saturer les représentations. Pour preuve, justement, cette publicité de la marque de beauté Elisabeth Arden en ouverture de ce numéro de Janvier 1939, présentant sur son dessin une « femme moderne » posant devant la place Vendôme, lieu de rassemblement des maisons de joaillerie française. La sémiologie visuelle se double ainsi d’une sémiologie du texte, donnant une seule signifiance quasi mathématique à cette publicité parue dans Vogue : la jeunesse, symbole de la beauté, devient synonyme de modernité, concept visuellement assimilé à certaines zones de Paris.

 

Entre Paris, capitale de la mode, et Vogue, média de la mode, la connexion passe dès lors pour évidente dès l’ouverture du magazine. Mais, refusant tout ethnocentrisme qui s’apparenterait à la xénophobie telle que conçue par le sociologue Gabriel Tarde, les contributeurs du magazine sont libres de leurs déplacements et sont même incités à élargir leur périmètre géographique, particulièrement à l’approche des numéros d’été et de vacances.

 

Vogue. 1939-05. – Gallica, BNF

 

 

Pourtant, avant d’aller plus loin dans l’analyse, il est à noter que ce numéro s’inscrit comme étant l’un des derniers à paraître avant le commencement de la « drôle de guerre ». En effet, la France déclarera la guerre à l’Allemagne six mois plus tard, en Septembre 1939, et les conflits ne débuteront qu’en mai 1940, date à partir de laquelle la Seconde Guerre mondiale sera vécue comme une véritable guerre pour l’ensemble des populations.

 

Jouant sur les polysémies autant que sur les codes de littérature mythologique, Lyautey dépeint pour le lectorat français un pays fantasmé. Marrakech devient une ville « fauve », sans que l’on sache s’il s’agit d’une métonymie quant aux couleurs dominantes de l’architecture locale ou d’une allégorie du sauvage.

Afin de renforcer son intérêt, celui du magazine, et par extension celui du lectorat, pour le Maroc au moment de la parution du numéro de Janvier 1939, l’auteur du récit use de la comparaison avec les voyages Anglais et Américains effectués dans le passé pour préciser que « la France » est plus apte que les autres à l’appréciation des « charmes du Sud ». D’ailleurs, dans cet article, « la France » s’identifie aux compagnons de voyage et de festivités de Lyautey. Comme listés dans l’article, il s’agit de la Duchesse d’Harcourt, de la Baronne Pellenc, du général Charles Noguès, de la fille du Roi d’Italie, ou encore du Prince Louis de Bourbon. Ce dernier est ironiquement qualifié par le journaliste de « blédard », traduisant la grande proximité de l’auteur de ces mots avec ledit Prince et toute l’aristocratie française.

 

Mais c’est également une élite locale et connue à l’international qui accueille les « amis impatients » de Pierre Lyautey, à l’instar des fils du Pacha, ou encore d’un chérif qui « récite en arabe les poèmes de Victor Hugo ». Cette anecdote, en rien anecdotique – ne serait-ce que textuellement via son positionnement ostensible en fin de paragraphe -, ne saurait mieux résumer le projet idéologique de ce texte. Elle énonce en effet que le Maroc et la France sont des pays amis mais, surtout, que le Maroc s’imprègne de la culture française et que celle-ci est mondialement connue et pratiquée.

 

vogue 1939 – Gallica, BNF

 

 

Enfin, tout un champ lexical de la « nature » et de l’ailleurs participe à renforcer l’entreprise de domination culturelle française. Premièrement, l’énumération de divers pays et continents (« Chine », « Afrique », « Amérique », « Egypte »,…) contribue à inscrire le discours de Lyautey dans un propos sur le lointain, ainsi que son texte dans le genre littéraire des récits initiatiques. Deuxièmement, les termes de « danses traditionnelles » et l’insertion de termes arabes (« casbah ») légitiment les connaissances de l’auteur en même temps qu’ils accentuent les différences avec une culture française qui se pratique dans des « maisons » et qui se vante à cette époque de sa modernité, concept alors opposé à celui de tradition.

 

L’édition française du magazine Vogue a toujours su s’adresser à un lectorat ciblé, s’apparentant à une élite culturelle et aux classes sociales aisées, également clientes des marques vantées dans le média. De fait, quand bien même l’article relate une expédition peu accessible (tant par le statut social des convives que par la multiplicité des espaces visités en un seul séjour), il est probable que l’identification au récit par les lecteurs ait été assurée.

 

Du reste, l’effet d’évasion, et donc d’infotainement de ce contenu médiatique typique du Vogue des années 1930, est parfaitement maîtrisé puisqu’il est encore perceptible à la lecture de l’article plus de quatre vingt ans plus tard. Finalement, Vogue assumait, déjà, une certaine déconnexion au réel. Par le refus d’une transmission d’expériences de vie massivement accessibles, et par la diffusion de récits élitistes sous plusieurs aspects commentés supra, le magazine a contribué à la construction de la mode image et surtout de la mode en tant que champ culturel social assurant la fonction d’évasion, de déconnexion. En contrepoint, le magazine commençait alors à se construire une identité basée sur des récits évènementiels et non pas informationnels, se détachant du registre médiatique classique par nécessité de ne plus être soumis aux codes rédactionnels de la presse généraliste.

 

Victime indirecte d’une vision occidentalo-centrée, la culture marocaine fut alors, en France et dans les discours de mode, perçue comme lieu de villégiature, c’est à dire un lieu de non permanence, de passage mais aussi comme lieu autre, au sein duquel on peut puiser des inspirations qui ont pour seul objectif de valoriser, à travers la différence, l’espace culturel français.

 

 

 

Saveria Mendella, doctorante en études de mode et titulaire de la bourse recherche 2021 du Fonds de dotation Maison Mode Méditerranée

 

%d