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Interview : Igor Uria, directeur des collections du Musée Cristobal Balenciaga

Le 2 Octobre 2021, à Marseille, la mode fut l’invitée d’honneur de la quatrième édition du Festival Cultures d’Espagne organisé par l’association Horizontes del Sur avec la participation du Fonds de Dotation Maison Mode Méditerranée.

Monsieur Igor Uria, directeur des collections du Musée Cristobal Balenciaga, a animé une conférence sur le couturier basque-espagnol Cristobal Balenciaga. Ce spécialiste des archives de haute couture prépare également une thèse en histoire de la mode sur le parcours et les constances créatives de Cristobal Balenciaga.

 

Igor Uria - directeur des collections du Musée Cristobal Balenciaga - Crédits : diariovasco.com

Igor Uria – directeur des collections du Musée Cristobal Balenciaga – Crédits : diariovasco.com

 

Revenons d’abord sur l’héritage idéologique et stylistique de Cristobal Balenciaga.

Très attentif aux corps des femmes, Cristobal Balenciaga, voyait dans le vêtement un soutien à la mise en lumière des personnalités de ses clientes. Selon lui, le vêtement était un support d’affirmation de soi, un révélateur des individualités. Féministe avant l’heure, le couturier n’hésite alors pas à libérer les corps (et les esprits!) en proposant des coupes amples, en pleine époque du tailleur bar de Christian Dior. À contre courant, mais résolument avant-gardiste, le vestiaire Balenciaga s’adapte aux vies actives et libère les mouvements féminins. Une philosophie du porté qui n’est pas sans faire écho aux propositions émises par Oscar Wilde durant son cycle de conférences sur la mode aux Etats-Unis en 1853. L’écrivain dandy défendait une approche physiologique de la mode, dans laquelle le vêtement doit s’adapter aux besoins humains avant de se plier à un rythme de tendances qui, trop souvent selon Wilde, dénaturent la beauté sculpturale permise par la création vestimentaire.

 

Balenciaga, 1958 © Balenciaga Archives

 

Durant la conférence, « Balenciaga, son invisible élégance », qui a rassemblé des étudiants, journalistes, professionnels des musées, spécialistes de mode, et amateurs de culture patrimoniale espagnole, Igor Uria a abordé la notion de l’invisible chez le couturier. Cette élégance à la fois aisément observable et imperceptible, est son emprunte la plus visible dans l’histoire de la mode du 20ème siècle et contemporaine.

Monsieur Uria est ainsi revenu sur la discrétion de Cristobal Balenciaga, qui apparaissait peu dans la presse, contrairement à ses homologues de l’époque. Une personnalité donc discrète qui n’hésitait cependant pas à affirmer ses idées stylistiques, notamment à travers ce que Igor Uria qualifie de « révolution de 1955 », lorsque Balenciaga prononce un « divorce entre la robe et le corps ». Proposant des silhouettes volumineuses, où un espace sensible est créé entre le corps et sa parure textile, Cristobal Balenciaga dénonçait ainsi l’omniprésence du sculpte de la silhouette. En effet, comme l’a rappelé le conférencier, le couturier accordait une importance majeure à la tête et aux souliers. Entre ces deux extrémités corporelles, le corps des clientes doit être bien vêtu, mais peut se permettre des excentricités de coupes qui seront compensées par les parures apposées sur ces deux pôles corporels.

 

Cette volonté de redimensionner n’a pas échappé à la presse de l’époque, qui observait des coupes innovantes – telle la célèbre robe « Babydoll » – en rupture totale avec les tailles serrées et marquées qui étaient alors en circulation. Premier couturier à dévoiler les genoux de manière aussi affirmée, la presse définissait même son travail comme ayant « trois ans d’avance sur tout le reste ».  Cette élégance dévoile aussi un art du minimalisme savamment mesuré. Seul l’essentiel de la parure était pensé par ce génie du style qui a toujours refusé de contribuer à l’accumulation de « décorations ».

 

Balenciaga, Baby Doll, 1956 © Museo Balenciaga

 

Et Igor Uria de conclure que cet héritage de l’élégance minimale, discrète et volumineuse, libératrice mais calculée, quasiment mathématique, s’observe désormais dans toute la mode contemporaine en tant que réflexion potentiellement salvatrice d’une mode résolument inclusive. Un héritage que l’on remarque aussi, mais avec parcimonie, chez l’héritier actuel de la maison Balenciaga : Demna Gvasalia, dont les volumes marqués et la volonté d’afficher des « gueules » sur les podiums font hommage à l’art du couturier espagnol d’habiller des personnalités plutôt que des corps. Il est possible de regretter que les talents qui ont traversé l’histoire de la mode espagnole ne soient pas assez reconnus sur la scène internationale de mode, à la fois historique et contemporaine. Mais la présence de Cristobal Balenciaga demeure incontournable et se remarque dans les collections les plus récentes, notamment via le retour des chapeaux volumineux qui, en un sens, camouflent les visages, pour mieux se concentrer sur les vêtements.

 

Balenciaga Couture 2021 - Crédits : Vogue Runway

Balenciaga Couture 2021 – Crédits : Vogue Runway

 

Le couturier méditerranéen laisse aussi une palette chromatique chère à sa géographie d’origine au sein de laquelle le noir occupe une position primordiale. En Méditerranée, les connotations rattachées à cette couleur profonde, que l’on dit impossible à représenter pleinement, sont multiples et dépendent de comment les diverses populations ont intégré le noir à leurs coutumes et cultures.

 

Olivier Saillard, historien de mode et Administrateur du Fonds de Dotation Maison Mode Méditerranée, revenait en 2020 sur cette utilisation méditerranéenne des couleurs noirs ainsi que sur l’histoire méditerranéenne de deux des plus grand couturiers :

« Fils de pêcheur, le jeune Balenciaga assistait sa mère dans des travaux de couture qu’elle recevait de la marquise de Llanzol à Guétaria, lieu de villégiature  au pays basque visiblement douée, Cristobal Balenciaga reçut un jour la mission de confectionner une robe entière pour celle qui sera sa protectrice. À San Sébastian, il devient tailleur et retoucheur pour plusieurs enseignes et devança rapidement en exécution tout son entourage. Couturier par procuration, comme le permettait un système officiel et rigide de licences accordées par Paris… En Espagne, sous la griffe Eisa à Paris à partir de 1937 sous son propre nom : Balenciaga régna de la pointe de ses ciseaux.

Les débuts d’Azzedine Alaia [Président Fondateur de la Maison Mode Méditerranée] à Tunis ne sont pas lointains de ceux du couturier espagnol Cristobal Balenciaga. Issu d’une famille modeste, il se prête volontiers aux menus travaux de couture de sa soeur et y supplée avec excellence. Alaia accumule les commandes auprès de clientes pour lesquelles il réalise de modèles influencées par la mode française qui domine le goût. A son arrivée à Paris dans les années 50, il reçoit lui aussi la protection de femmes bienfaitrices er bienveillantes. Il s’agit de Simone Zehrfuss puis de la comtesse de Blégiers. Comme Balenciaga, Alaïa devient un couturier de clientes par excellence. Cette relation les conduit aussi à cultiver le secret des corps, à magnifier certaines de leur géographie. Au fur et à mesure que leur technique de coupe, de montage, et de couture se raffinait, l’académie des corps qu’ils possédaient l’un et l’autre devenait unique et commune. De tous les couturiers et créateurs, eux seuls furent les ambassadeurs inquiets d’une profession qui plaçait les outils et la connaissance avant le style. Ce faisant, alors que leur technique à l’œuvre devenait une véritable écriture automatique ; chacun d’eux confirmait un style si imité, resté inimitable. Ce style, Alaïa et Balenciaga l’ont partagé et plongé abusivement dans le noir. Le noir et les terres sont les couleurs les plus durables […]. Des deux rives de la Méditerranée, ces deux là ont dominé la couture française et ont trempé les plus belles de leurs créations dans leurs origines ibériques et tunisiennes où les noirs de toutes sortes se posent en aplat sur les tenues modestes et austères. Dans les noirs profonds, embarrassés de respect, dans les noirs poussière, ceux qui délimitent une silhouette, la découpent ou la diluent, Alaïa et Balenciaga ont taillé les plus beaux ouvrages du soir mais aussi du jour. Le noir de Goya, de Velasquez ou de Fontana sont leurs repères chromatiques… » [1]

 

Exposition Alaïa et Balenciaga Sculpteurs de la forme – Crédits : fondation Alaïa

 

Cette appétence culturelle pour le noir a été un point soulevé à plusieurs reprises par Igor Uria et qui s’observe dans les archives dévoilées durant la conférence. Vous pouvez consulter le diaporama d’accompagnement de la conférence ici pour mieux visualiser l’omniprésence du noir et les innovations de coupes dans la démarche stylistique de Cristobal Balenciaga. [insérer diaporama Igor Uria]  

[1] Extrait de l’ouvrage “Alaïa et Balenciaga, Sculpteurs de la Forme” édition Fondation Azzedine Alaïa 2020 sous la direction d’Olivier Saillard

 

Le Fonds de Dotation dévoile en exclusivité une interview réalisée avec Igor Uria, pour laquelle le spécialiste accepte de revenir en quelques questions sur la pensée Balenciaga et le traitement actuel qui est fait des archives du couturier…

 

 

Le Fonds de Dotation MMM : Après Paris à la Fondation Alaïa, l’exposition « Balenciaga Alaïa – Sculpteurs de la forme » est exposée au Musée Balenciaga de Getaria au pays Basques dont vous dirigez les collections. Quels sont, selon vous, les points communs entre ces deux couturiers méditerranéens ?

Igor Uria : Les deux dessinateurs considèrent que la technique est indispensable et l’utilisent avec une grande rigueur. Pour eux, la tradition a beaucoup de poids. On ne part jamais de zéro, il y a toujours des antécédents. C’est pourquoi Azzedine Alaïa et Cristóbal Balenciaga étudient, analysent et appliquent les techniques des dessinateurs précédents. Dans le cas d’Alaïa, l’une de ses références est Balenciaga.

 

Le Fonds de Dotation MMM : Peut-on parler de filiation entre un Méditerranéen de Tunis et un Basque Espagnol, aux enfances similaires, nés tous les deux au sein de familles modestes ?

Igor Uria : On peut considérer que tous les deux ont des origines modestes. Ce sont des gens du peuple qui avec une grande rigueur,  de la passion et une aide initiale externe, ont atteint l’excellence et sont devenus des références d’élégance et de raffinement. Une donnée objective, me semble-t-il, est de constater comme tous les deux dirigent leur regard, pendant leur étape d’apprentissage, vers Paris.

 

Le Fonds de Dotation MMM : Azzedine Alaïa vouait une immense admiration à Monsieur Balenciaga. Le savait-il ? Ont-ils pu se rencontrer ?

Igor Uria : Ils ne se sont jamais rencontrés. Nous devons tenir compte de leur grande différence d’âge. Au moment où Azzedine Alaïa commence dans son atelier, il ne s’agit pas encore d’une maison de couture ni d’une marque, Cristóbal Balenciaga ferme sa maison de couture, en 1968.

 

Le Fonds de Dotation MMM : La griffe Balenciaga perdure et le groupe Kering confie la direction artistique à des designers tels qu’Alexander Wang puis, Nicolas Ghesquière et aujourd’hui à Demna Gvasalia. Que pensez-vous de l’héritage Balenciaga transmis par le directeur artistique actuel ?

Igor Uria : Depuis ma perspective dans beaucoup de silhouettes actuelles, conçues par Demna Gvasalia, on trouve des caractéristiques des silhouettes proposées par Cristóbal Balenciaga. Je crois qu’on peut apprécier des concepts théoriques, comme les épaules surdimensionnées, la création des silhouettes qui s’éloignent du corps féminin. Néanmoins, je ne crois pas que réaliser des copies des créations de Balenciaga, en modifiant certains aspects, constitue l’essence de la maison Balenciaga. Je pense que ces aspects sont plus associés à Demna Gvasalia, qui propose la réutilisation de l’habillement antérieur en lui donnant une nouvelle vision… les sweats, les anoraks, le sac d’Ikea…

 

Balenciaga Couture 2021 – Crédits Vogue Runway

 

Le Fonds de Dotation MMM : Vous veillez et faites vivre un patrimoine historique exceptionnel. Les archives sont-elles consultées par les équipes de la marque ?

Igor Uria : Les archives du Cristóbal Balenciaga Museo ont été consultés autant par Alexander Wang et par Demna Gvasalia en personne, que par leurs équipes des différents départements, comme inspiration ou source d’information.

Le Fonds de Dotation MMM : Choisissez-vous pour la Fondation des ensembles issus de leurs collections récentes ?

Igor Uria : Deux déshabillés présentés dans la collection d’Haute Couture de l’été 2021, intègrent nos collections, de même qu’un manteau de soirée en gazar avec un volant autour.

Le Fonds de Dotation MMM : Balenciaga et Alaïa ont inscrit les bases d’un courant stylistique Méditerranéen. Le Fonds de Dotation Maison Mode Méditerranée a pris le parti de soutenir des talents créatifs Méditerranéens, parmi lesquels figurent la jeune génération de créateurs espagnols tels que David Catalan ou encore Paloma Wool, et Artem Atelier. Quelle vision portez-vous sur cette continuité et envisagez-vous d’inviter de jeunes créateurs au sein du Musée Balenciaga de Getaria ?

Igor Uria : Je crois qu’il ne faut jamais critiquer ce qu’ont fait les précédents pour pouvoir appliquer ce qui est exceptionnel de ce patrimoine à notre époque. En tant que Musée, nous considérons que ledit patrimoine doit être diffusé et conservé, pour qu’il serve de référence actuellement et pour les générations futures. Depuis le Cristóbal Balenciaga Museo, nous essayons d’apporter une connaissance sur la façon de faire, des techniques utilisées dans la maison. Ces dernières années, nous avons accordé beaucoup d’importance au design et oublié la technique. C’est pourquoi nous voulons transmettre ce savoir–faire aux futurs dessinateurs, pour qu’ils puissent l’appliquer à leurs créations.

Nous remercions chaleureusement Monsieur Igor Uria pour ses réponses précises et chargées de récits de spécialistes, qui contribuent pleinement à l’écriture de la grande histoire de la mode, Madame Jocelyn Faessel présidente de Horizontes del Sur, Madame Laurence Donnay, conférencière au Musée des arts décoratifs, de la faïence et de la mode, pour la visite privée de l’exposition Souffles.

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