Le jury du LVMH Prize 2021 a décerné le prix LVMH à la créatrice méditerranéenne Nensi Dojaka
Situé entre la Grèce et le Kosovo, l’Albanie est un pays du continent liquide, qui dévoile une variété de paysages alternant entre montagnes rocheuses et côtes méditerranéennes.
Originaire d’Albanie, Nensi Dojaka est basée à Londres et a effectué ses études à la Central Saint Martins. Son travail sur les vêtements féminins, prisé dès le lancement de sa marque éponyme en 2020 par des célébrités de la mode, est un hommage à certains codes des vestiaires méditerranéens. De la forte présence du noir, aux jeux de dévoilements des corps, en passant par les coupes symétriques, très présentes dans les pays au capital architectural fort (tels que l’Espagne, l’Italie, la Tunisie,…) la créatrice – qui défile désormais à la Fashion Week de Londres -interprète ce socle culturel méditerranéen au sein d’une époque qui redéfinit les corps.
En effet, comme le soulignait l’historien Laurent Cotta lors de l’exposition Noir(s) en 2012 au Musée de la Mode de Marseille, le noir est porteur d’histoires méditerranéennes qui divergent selon les lieux et le temps. Ses symboliques sont parfois même contradictoires d’une culture à l’autre mais sa présence est permanente et commune. Rappelons que le noir est la couleur de la Xhubleta, une robe pour femmes appartenant au vestiaire des costumes traditionnels du nord de l’Albanie (et déclinée en noir et blanc pour les jeunes filles). La xhubelta symbolisait le rapport entre la beauté des femmes de la montagne et les liens avec la religion.
C’est parce que le noir est décliné symboliquement et à travers les époques et cultures qu’il permet de projeter de multiples déclinaisons dans la création vestimentaire. Par son omniprésence en Méditerranée (et dans la mode), cette couleur est à la fois rassembleuse et individuelle, collective et intimiste.
Nensi Dojaka est, comme de nombreuses créatrices méditerranéennes, une ambassadrice de cette teinte polysémique qui ne cesse de satisfaire les vestiaires et représentations collectives de l’élégance.
En parallèle, la créatrice développe de nombreux corsets, qu’elle offre comme moins contraignants et plus à l’écoute des corps. Ces corps justement dont elle déplace le dévoilement, privilégiant des zones rarement considérées par les coupes vestimentaires classiques. Ici, c’est la découpe qui est rejouée. Son travail de tailoring lui permet de créer des respirations textiles inattendues, quasi cartographiques, comme un écho à l’allégement et au raccourcissements des costumes traditionnels méditerranéens. Comme un écho, aussi, à la libération des corps par les courants bodypositive qui parcourent l’Occident, proposant une lecture moins normative et moins genrée, axée sur une beauté renouvelée, entre nudité et pudeur volontaire.
Par cette filiation méditerranéenne esthétiquement revendiquée, il n’est pas étonnant que l’univers de la créatrice ait séduit si rapidement l’italien Alessandro Dell’Acqua pour collaborer à sa marque N°21.
Cette année, le jury était composé de grands noms de la mode telle que la créatrice et militante pour une mode éco-responsable Stella McCartney, ou encore l’italienne Maria Grazia Chiuri.
Parmi les finalistes, le Fonds de Dotation Maison Mode Méditerranée comptait l’une de ses membres : la créatrice libanaise Cynthia Merhej, fondatrice de la marque Renaissance Renaissance, pour laquelle nous lui avions décerné l’OpenMyMed Prize en 2020, et qui est désormais titulaire de la Bourse Création 2021 du Fonds de Dotation.

©NENSI DOJAKA, Photography by Angelo Pennetta

©NENSI DOJAKA, Photography by Angelo Pennetta

©NENSI DOJAKA, Photography by Angelo Pennetta